Bonjour les tourterelles,
J’ai passé le mois de juin en compagnie de la première femme à avoir reçu le prix Pulitzer (1921), j’ai nommé Edith Wharton.
Quatre romans au programme.
Retour sur un mois de juin whartonien.
Après avoir lu « L’été » le mois dernier (click), j’ai continué ma découverte des œuvres d’Edith Wharton. Ceux qui commencent à me connaitre ne seront pas étonnés et savent que je fonctionne énormément de manière cyclique. Romans lus non pas dans l’ordre chronologique mais selon les disponibilités de la médiathèque.
Allez c’est parti avec le premier roman.
La splendeur des Lansing, 1922
Ce roman met en scène un couple formé par Suzy et Nick Lansing, pauvres parmi les riches. Les liens qui les unissent (ceux du mariage) ne doivent être que temporaires. En effet, leur union est fondée sur une « entente » quelque peu singulière: chacun pourra quand il le souhaitera renoncer à l’autre et à ses vœux si une opportunité présentant un meilleur avenir (financier) se profile. So romantic! Ces deux-là qui semblent pourtant s’aimer d’un amour véritable n’ont pas trouvé meilleure idée que de se marier et de vivre, en attendant l’occasion en or, aux crochets de leurs relations.
Suzy est la tête pensante du couple, elle multiplie les calculs et échafaude des plans afin de fournir la vie la plus agréable possible à son mari. Une vraie reine de la logistique pique-assiette qui ébauche des rétroplanning de l’incruste comme personne. Ils vivent un temps dans ce paradis illusoire, passent leur lune de miel dans une villa de Côme avant de rejoindre Venise. Oui mais voilà on a rien sans rien et ces faveurs accordées par leurs protecteurs prennent souvent l’allure de servitude et cachent parfois un revers de la médaille peu reluisant. C’est ce qu’il va se passer dans la cité des Doges où le séjour des amoureux va tourner en eau de boudin. Faut-il choisir de vivre heureux mais sans le sou ou de faire un mariage arrangé mais qui promet une vie sans souci? Faut-il accepter les mensonges et les hypocrisies, fermer les yeux sur les relations amorales et entretenir des amitiés intéressées?
These are the questions.
Questions qui vont entrainer nos protagonistes sur les voies d’un cheminement moral où chacun évoluera à son rythme. Nick réagira plus rapidement pour se (re)tourner vers d’autres aspirations, écœuré par les manigances qui leur permettent cette autonomie dorée momentanée. Il endosse ainsi dans un premier temps le rôle du « gentil » alors que cette calculatrice de Suzy demeure plutôt antipathique malgré les questionnements qui finissent par l’assaillir progressivement. Bon en vérité ce n’est pas aussi simple. Il faut compter, comme souvent chez Edith Wharton, avec les non-dits, les malentendus et les caprices du destin. Et puis Suzy est-elle vraiment si déterminée et aveuglée?
Edith Wharton dépeint ici la vanité et la superficialité de la haute société new-yorkaise qu’elle connait si bien et qui pourrait se résumer aux mondanités qui l’animent et à l’hypocrisie qui l’alimente, avec en fil directeur la difficulté d’émancipation de la femme. J’ai trouvé que le livre présentait quelques longueurs et avec le recul je le trouve davantage convenu et optimiste que les autres romans. Edith Wharton y fait montre de beaucoup de compassion pour son héroïne. Son ton et son propos sont acerbes mais beaucoup moins féroces et cruels que dans le livre qui suit.
Chez les heureux du monde, 1905
New-York 1905. Lily Bart est une jeune femme célibataire. Enfin tout est relatif car à 29 ans elle est en passe de devenir une vieille fille. Orpheline sans le sous hébergée par sa tante elle se doit d’être l’investigatrice de son mariage. Étant donnée sa condition (sociale et financière) elle est obligée de se trouver un bon parti et ne peut pour cela compter que sur sa beauté et son charme fascinant incontesté qui constituent son unique richesse. Ce déterminisme social a fait d’elle une redoutable prédatrice qui étudie chaque proie potentielle avec minutie. Vous vous doutez bien qu’un grain de sable va venir enrayer cette machine parfaitement huilée et ébranler ce planning précis et réfléchi d’actions à mener pour trouver le meilleur parti. Et c’est quoi ce grain de sable? Le désir, véritable obstacle à sa destinée prédestinée (Tu aimes? L’expression est de moi. Comment ça, cela ne veut rien dire?)
Ce grain de sable est incarné par l’amour pour un homme qui ne constitue pas un bon candidat et va engendrer un véritable conflit entre ses désirs et les règles dictées par la société. Le récit accumule les non-dits, les mauvais choix et les actes manqués. Bouh comme cela est agaçant! Mais comme cela est bien amené et efficace. Le développement du récit est fort bien pensé et organisé et le style très élégant malgré l’ironie et la critique cinglante sous-jacentes. Lily finit par être déchue de ces hautes sphères, victime des caprices du destin et de manigances malveillantes.
Le problème est qu’en dehors de ce milieu étroit, Lily semble inapte à survivre…
Cette lecture fut captivante, agaçante, désespérante, implacable et cruelle.
Mais pas autant que le roman qui suit.
Ethan Frome, 1911
Comment parler de ce court roman intense et bouleversant dont la révoltante quatrième de couverture est un gros spoiler qui révèle les grandes lignes de l’intrigue et son dénouement?
Je vais essayer de le faire sans gâcher votre éventuel futur plaisir de lecteur. Dans un village isolé de Nouvelle-Angleterre, Ethan est un jeune homme (tiens ça change, jusqu’ici le héros des précédents romans était une héroïne) qui se débat sous le fardeau d’un héritage ingrat qui ne lui rapporte quasi rien: il trime en tentant de faire fonctionner sa ferme et de faire tourner sa scierie. Dans le même temps il se consume auprès d’une épouse aigrie et hypocondriaque, Zeema une cousine plus âgée épousée par reconnaissance, qui consacre tout son temps à ses maux et dépense les maigres revenus du ménage en remèdes onéreux. Jusque-là on ne peut pas dire qu’Ethan soit gâté par la vie. Arrive Mattie, une cousine orpheline de sa femme qui débarque pour l’aider à tenir le ménage et qui va changer la donne. Son arrivée va faire naître chez Ethan un sentiment jusqu’alors inconnu: celui de la passion. Oui mais voilà au bout d’un an Zeema estime que sa générosité a ses limites et qu’elle a largement accompli son devoir en l’hébergeant aussi longtemps, et souhaite se débarrasser de Mattie.
Bien évidemment Ethan est bouleversé. Le pauvre bougre s’était imaginé, durant l’unique soirée passée en tête à tête avec Mattie, ce que pourrait être sa vie avec elle et cette projection l’a mis dans un état de félicité jamais atteint. Pas de bol Anatole. Encore un qui est totalement coincé dans les convenances et les interdits moraux et totalement écrasé par la « pesanteur sociale ». Impossible de faire un pas de côté pour en sortir et disons, vivre sa vie. Voie sans issue.
Quel gâchis! Mais quel gâchis!
Un roman totalement déprimant. Mais un roman puissant et d’une intensité et d’une efficacité redoutables. J’attends de la littérature qu’elle me raconte des histoires mais également qu’elle fasse naître en moi tout un panel de sentiments. Et là c’est réussi: j’ai vacillé entre incompréhension, colère, révolte puis désespoir. Sans être révolutionnaire la construction du récit est intéressante. Le récit rétrospectif est raconté par un protagoniste qui se retrouve pour raison professionnelle dans le village d’Ethan Frome qu’il rencontre. Intrigué par le personnage il va se renseigner sur son compte et va par bribes fragmentaires reconstituer l’histoire de ce dernier. On se doute bien qu’il n’a pas pu récupérer autant d’informations et de détails si précis. Ce n’est pas Miss Marple. Cependant cela contribue au charme du récit.
Je ne vous en dirai pas plus, vous pourrez toujours lire la quatrième de couverture si vous voulez…
La récompense d’une mère, 1925
Kate est une quadra désargentée, déchue des sphères sociales dans lesquelles elle aurait dû évoluer s’il n’y avait pas eu un scandale.
18 ans auparavant, alors qu’elle était mariée depuis peu et totalement écrasée par sa vie et sa belle-famille, elle a quitté mari et jeune enfant pourtant chérie pour s’enfuir avec son amant. Ce paradis factice n’a pas duré bien longtemps, la passion s’est fanée assez rapidement. Le mal étant fait, tout retour lui était cependant impossible. Kate a alors décidé de mener une vie discrète et décente (si on omet un nouvel épisode de folle passion). Oui mais voilà après le décès de son père, puis celui de sa grand-mère qui constituait le dernier obstacle au retour de sa mère, l’enfant abandonnée décide de rappeler à elle cette mère déclassée et déconsidérée. (Je me suis demandé pour quelles raisons pendant tout le roman). Et malgré les craintes de Kate qui pensait devoir affronter ses anciennes connaissances, ce retour se fait dans une indifférence générale.
Mais peut-on rattraper 18 ans d’absence? La réintégration (sociale et dans le cœur de sa fille) est-elle possible? Arrive un évènement que le lecteur sent poindre assez rapidement et qui vient bouleverser ce retour. Et là je me suis dit et répété: Mais pourquoi? Pourquoi se taire? Pourquoi ces choix? Pourquoi emprunter cette trajectoire? Bon bah, je commence à connaître un peu cette Madame Wharton et je pense pouvoir dire que je sais pourquoi. Tout ceci est de la faute au système implacable et pétrifiant de la haute et rigide société new-yorkaise de l’époque où la vie de nombreuses femme équivalait a un parcours du combattant perdu d’avance, pour le peu qu’elles ne soient pas bien nées ou richement épousées.
On sent également un peu d’orgueil et de résignation chez cette maman qui a tout quitté et qui se retrouve victime de son avidité pour une liberté qui se révèle chèrement payée.
Des quatre ce roman est celui qui m’a le moins séduite.
Mais j’ai dans l’ensemble passé de très bon moments de lecture avec Edith Wharton.
La preuve, je suis en train de lire Les new-yorkaises et pense enchainer avec une biographie ou son autobiographie…
Et vous, qu’avez-vous lu?
Je compte sur vous!
A bientôt,
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